January 10, 2025
Summaries Sunday: SOQUIJ – Slaw

Summaries Sunday: SOQUIJ – Slaw

Every week we present the summary of a decision handed down by a Québec court provided to us by SOQUIJ and considered to be of interest to our readers throughout Canada. SOQUIJ is attached to the Québec Department of Justice and collects, analyzes, enriches, and disseminates legal information in Québec.

PÉNAL (DROIT) : La règle de droit autorisant les interceptions routières sans motif requis en dehors de tout programme structuré, édictée à l’article 636 du Code de la sécurité routière, entraîne le profilage racial; cette règle de droit viole les articles 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne peut se justifier au regard de l’article premier.

Intitulé : Procureur général du Québec c. Luamba, 2024 QCCA 1387
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Julie Dutil, Suzanne Gagné et Lori Renée Weitzman
Date : 23 octobre 2024

Résumé

PÉNAL (DROIT) — garanties fondamentales du processus pénal — droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires — droit à l’égalité — interception d’un véhicule — interception au hasard — absence de motif — pouvoir discrétionnaire — pouvoir policier — profilage racial — article 636 du Code de la sécurité routière — portée de l’arrêt R. c. Ladouceur (C.S. Can., 1990-05-31), SOQUIJ AZ-90111050, J.E. 90-905, [1990] 1 R.C.S. 1257 — common law — règle du stare decisis — violation des droits constitutionnels — objectif de la loi — lien rationnel — absence de proportionnalité — atteinte non justifiée — remède approprié — invalidité constitutionnelle — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — suspension — appel.

DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — personne arrêtée ou détenue — droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires — interception d’un véhicule — interception au hasard — absence de motif — pouvoir discrétionnaire — pouvoir policier — profilage racial — article 636 du Code de la sécurité routière — portée de l’arrêt R. c. Ladouceur (C.S. Can., 1990-05-31), SOQUIJ AZ-90111050, J.E. 90-905, [1990] 1 R.C.S. 1257 — common law — règle du stare decisis — violation des droits constitutionnels — objectif de la loi — lien rationnel — absence de proportionnalité — atteinte non justifiée — remède approprié — invalidité constitutionnelle — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — suspension — appel.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — race, couleur, origine ethnique ou nationale — homme noir — profilage racial — interception d’un véhicule — interception au hasard — absence de motif — pouvoir discrétionnaire — pouvoir policier — profilage racial — article 636 du Code de la sécurité routière.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — actes discriminatoires — divers — profilage racial — interception d’un véhicule — interception au hasard — absence de motif — pouvoir discrétionnaire — pouvoir policier — profilage racial — article 636 du Code de la sécurité routière.

PÉNAL (DROIT) — juridiction pénale — Cour supérieure — règle du stare decisis — réexamen d’un précédent de la Cour suprême du Canada (R. c. Ladouceur (C.S. Can., 1990-05-31), SOQUIJ AZ-90111050, J.E. 90-905, [1990] 1 R.C.S. 1257) — nouvelle question juridique — profilage racial — évolution de la société — modification de la situation ou de la preuve changeant radicalement la donne — droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires — droit à l’égalité — interception d’un véhicule — interception au hasard — pouvoir policier — article 636 du Code de la sécurité routière — invalidité constitutionnelle — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — appel.

DROITS ET LIBERTÉS — réparation du préjudice — déclaration d’inopérabilité constitutionnelle — article 636 du Code de la sécurité routière — prise d’effet — suspension — durée — prorogation — fardeau de la preuve — cas inapproprié — droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires — droit à l’égalité — interception d’un véhicule — interception au hasard — pouvoir policier — profilage racial — violation des droits constitutionnels — atteinte non justifiée — invalidité constitutionnelle — appel.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une demande en déclaration d’invalidité constitutionnelle de la règle de common law établie dans R. c. Ladouceur (C.S. Can., 1990-05-31), SOQUIJ AZ-90111050, J.E. 90-905, [1990] 1 R.C.S. 1257, et de l’article 636 du Code de la sécurité routière. Accueilli en partie.

Le présent pourvoi porte sur la validité constitutionnelle du pouvoir des policiers d’intercepter des véhicules routiers de façon aléatoire, en dehors d’un programme structuré et sans motif de croire ou de soupçonner qu’une infraction a été commise (interception routière sans motif requis), lequel pouvoir a été validé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ladouceur et est codifié à l’article 636 du code. Le juge de première instance a conclu que la règle de common law reconnue dans Ladouceur et l’article 636 du code portent atteinte aux articles 7, 9 et 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés et que ces atteintes ne sont pas justifiées selon l’article premier de la charte. Il a déclaré inopérante la règle de droit contestée.

Décision

L’arrêt Ladouceur n’a pas reconnu un pouvoir policier de common law d’effectuer des interceptions routières sans motif requis. Dans cet arrêt, la Cour suprême était saisie de la question de la constitutionnalité de l’article 189 a (1) du Code de la route de l’Ontario, lequel autorise les interceptions routières au hasard à partir d’une voiture de police en patrouille. Il n’était pas nécessaire pour la Cour suprême de s’en remettre aux pouvoirs de common law pour trancher le litige. L’arrêt Ladouceur n’a pas élargi le pouvoir policier de common law reconnu dans l’arrêt Dedman c. R. (C.S. Can., 1985-07-31), SOQUIJ AZ-85111062, J.E. 85-781, [1985] 2 R.C.S. 2, à savoir celui d’intercepter des véhicules au hasard dans le cadre d’un programme structuré. En conséquence, les conclusions du jugement de première instance relatives à la règle de common law seront modifiées. Ainsi, l’analyse de l’ensemble des questions en litige ne portera que sur l’article 636 du Code de la sécurité routière.

Le juge n’a pas erré en concluant que le profilage racial résulte de l’article 636 du Code de la sécurité routière et non d’une application dérogatoire de cette disposition par les policiers. Même si l’article 636 n’autorise pas expressément les interceptions routières sans motif requis fondées sur le profilage racial, la preuve démontre que son effet est de permettre à ce phénomène de s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que cette disposition confère aux policiers. L’article 636 ne prévoit aucun critère ni aucune norme qui pourraient encadrer le travail des policiers dans la sélection des conducteurs à interpeller. Le profilage racial découle souvent d’un comportement inconscient. Il peut aussi exister indépendamment du fait que la conduite policière pourrait être justifiée sans le recours aux stéréotypes négatifs fondés sur la race.

Le juge pouvait réexaminer l’arrêt Ladouceur. Seule la constitutionnalité de l’article 189 a (1) du Code de la route de l’Ontario au regard de l’article 9 de la charte a fait l’objet d’un examen dans cet arrêt; les arguments fondés sur les articles 7 et 15 de la charte constituent donc de nouvelles questions de droit. Le juge était lié par Ladouceur en ce qui concerne les arguments fondés sur l’article 9 de la charte et sur la justification de l’atteinte à cette disposition. Toutefois, il pouvait réexaminer ce précédent puisque les exceptions à la règle du stare decisis vertical — soit une nouvelle question juridique et une modification de la situation ou de la preuve changeant radicalement la donne — s’appliquaient. Notamment, le juge n’a pas erré en concluant que le profilage racial, qui est maintenant largement documenté, est une nouvelle réalité qui change radicalement la donne. La littérature concomitante et la preuve administrée exposent un portrait de la situation qui diffère de celui présenté dans Ladouceur. Les risques de profilage racial dans les interceptions routières sans motif requis, s’ils étaient pressentis à l’époque de cet arrêt, n’étaient alors pas encore suffisamment connus.

Le juge était fondé à conclure que l’atteinte au droit garanti par l’article 9 de la charte découlant de l’article 636 du Code de la sécurité routière ne pouvait se justifier suivant l’article premier de la charte. Les 2 premiers critères devant être examinés pour déterminer si l’atteinte est justifiée sont remplis. Cette disposition poursuit un objectif urgent et réel, à savoir, essentiellement, assurer la sécurité routière. Le juge s’est mépris sur l’analyse du critère du lien rationnel, qu’il estimait non rempli. Le pouvoir d’interception sans motif requis constitue un moyen rationnel de contribuer à l’objectif législatif de la sécurité routière. Le critère de l’atteinte minimale n’est toutefois pas rempli. Le procureur général du Québec (PGQ) ne présente aucun argument ni aucune preuve quant à ce critère, s’en remettant aux conclusions de la majorité dans Ladouceur. Or, celles-ci ne peuvent plus être retenues aujourd’hui. En outre, la possibilité d’envisager une autre disposition législative qui permettrait d’atteindre de façon substantielle l’objectif visé par l’article 636 du Code de la sécurité routière tout en limitant le recours possible au profilage racial démontre que l’atteinte n’est pas minimale. Le juge n’a pas erré en concluant que d’autres stratégies pour atteindre l’objectif législatif sont disponibles et permettent d’arriver au même résultat (par exemple, les barrages routiers). De plus, les policiers disposent d’autres pouvoirs leur permettant d’intervenir auprès de conducteurs pour des considérations de sécurité routière ou publique. Enfin, le critère de la mise en balance des effets bénéfiques et des effets préjudiciables n’est pas rempli. Le juge a souligné à juste titre l’absence de preuve convaincante concernant les effets bénéfiques de l’article 636. Par contraste, les répercussions préjudiciables sur les personnes noires et leur entourage sont importantes.

Dans la mesure où l’article 9 de la charte illustre de manière plus précise et complète le droit garanti à l’article 7 de celle-ci dans le contexte analysé en l’espèce, la conclusion de la Cour selon laquelle l’article 636 du Code de la sécurité routière porte une atteinte injustifiée à l’article 9 de la charte rend superflue toute analyse distincte au regard de l’article 7.

Le juge a eu raison de conclure que l’article 636 du Code de la sécurité routière porte une atteinte injustifiée à l’article 15 (1) de la charte. Premièrement, bien qu’il soit en apparence neutre, l’article 636 crée, par son effet, une distinction fondée sur la race. Dans les faits, cette disposition a une incidence nettement disproportionnée sur les conducteurs noirs par rapport aux autres groupes de conducteurs. La preuve non contredite démontre la façon dont le profilage racial teinte les interventions policières. Deuxièmement, la preuve démontre que l’effet préjudiciable causé par l’article 636 du code renforce, perpétue et accentue le désavantage historique et systémique subi par les personnes noires. Le profilage racial a par ailleurs pour effet de perpétuer et de renforcer la discrimination à l’égard des personnes noires.

La réparation appropriée est une déclaration d’invalidité fondée sur l’article 52 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il n’y a pas lieu d’intervenir quant à la suspension de la déclaration d’invalidité pour une période de 6 mois.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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